Contexte sanitaire oblige, l’Association des bibliothécaires départementaux (ABD) organisait ses 34èmes journées d’étude annuelles les 13 et 14 septembre en ligne. Intitulé « Pour des réseaux de lecture publique durables et équitables », ces journées étaient résolument placées sous l’auspice du développement durable. Les élèves conservateurs de la promotion Tomi Ungerer avaient la chance d’y être associés. Après une première partie mêlant conférences et partage d’expériences inspirantes, les journées d’étude se sont poursuivies le mardi matin sous la forme d’ateliers thématiques simultanés auprès de porteurs de projets.
Le numérique inclusif
Le premier atelier – coanimé par Céline Meneghin et Hovig Ananian – a permis de croiser deux retours d’expérience sur le thème de l’inclusion numérique. Sarah Hams, de Bibliothèques Sans Frontières, et Éric Jolie, de la Bibliothèque départementale du Pas-de-Calais, sont revenus sur la création du guide Tous connectés à destination des aidants numériques du Pas-de-Calais. Le guide permet aux professionnels d’améliorer la qualité du service en direction des personnes en demande d’accompagnement sur leurs démarches en ligne en ciblant leurs besoins (diagnostic de l’aidé), en sécurisant la position de l’aidant (droits et devoirs de l’aidant) et en facilitant leur orientation (boite à outils de l’aidant sur la recherche d’emploi, les démarches administratives, les savoirs de base, ou la santé en ligne). L’outil a été créé sur Genially sous la licence creative commons et est librement réutilisable par les bibliothèques.
La deuxième intervention, assurée par Pauline Gadea, de Bibliothèques Sans Frontières, et Colette Desolme, bibliothécaire à Daux, a permis de faire découvrir au public la création d’un kit d’éducation aux médias par une quarantaine de professionnels sur quatre territoires : Haute-Garonne, Hérault, Loiret et Loir-et-Cher. Le kit réunit 35 ressources de compréhension des médias et 40 ressources d’activités triées par objectifs pédagogiques, fléchées par besoins en matériel et par publics cibles. Des commentaires de pairs aident aux choix d’activités et proposent des variantes. Le kit sera très bientôt diffusé sous licence creative commons, mais on peut d’ores et déjà le recevoir sur simple demande par mail à Sarah Hams, en échange d’un retour sur les ateliers menés à partir du kit. Une version enrichie est déjà en projet, qui prendra en compte les variantes et les retours de manière extensive et verra l’ajout d’un volet autour de la désinformation scientifique.
Le rôle des bibliothèques dans la sensibilisation au développement durable des publics
Le deuxième atelier – comodéré par Emilie Thilliez-Fernandez et Michel Wong Man Wan – a également permis de croiser deux expériences complémentaires : l’une en milieu urbain à Paris et l’autre en zone rurale dans l’Aisne. Adèle Martin de la Bibliothèque publique d’information a d’abord présenté deux actions phares qui y sont menées : un évènement temps-fort « Osez la Récup » qui a lieu sur un weekend et un cycle de rencontres et d’ateliers « Vivre Durable ». Puis, Gonzague Plane, documentaliste, a présenté les très nombreuses actions menées par le centre de ressources environnementales de l’Aisne Geodomia. Véritable médiathèque environnementale ouverte à tous, ce centre a pour mission de faciliter l’accès aux connaissances environnementales et faire vivre le réseau des acteurs de l’environnement sur son territoire.
Quelle écologie pour le livre ?
La table ronde animée par l’Association pour l’écologie du livre et sa porte-parole, Anaïs Massola (librairie Le Rideau Rouge, à Paris), a permis d’aborder la genèse d’une réflexion inter-filières (libraire, éditeurs, bibliothécaires) autour de l’écologie (symbolique et matérielle) de l’objet « livre ».
Aux racines de cette réflexion, sont évoqués les problèmes de surproduction, d’inflation éditoriale ou encore de pollution liés à la fabrication du papier. Aujourd’hui, la confection de livres représente 7% de la consommation de papier : il ne s’agit donc pas du principal poste de prélèvement de la ressource. Cependant, la production de livres a triplé ces 20 dernières années : aujourd’hui, on décompte plus de 80 000 nouveautés par an, avec un taux de retour en librairie situé autour des 28% en France (et un taux de pilonnage autour des 15 à 18%).
Une rémunération juste et équitable de tous les acteurs de la chaîne du livre est également au coeur de la réflexion, face à la concurrence de plus en plus pesante de gros opérateurs tels qu’Amazon. Les relations entre acteurs de la filière du livre semblent pâtir d’une atomisation croissante, avec le risque d’un délitement des liens d’interdépendance.
C’est pourquoi l’Association pour l’écologie du livre promeut une réflexion systémique ainsi que l’idée de bibliodiversité, afin de faire valoir de nouveaux imaginaires et de nouveaux rapports de force par et autour du livre.
Le numérique et son impact environnemental
Le troisième atelier – coanimé par Mathilde Chauvigné et Céline Cadieu-Dumont – réunissait Jean-Sébastien Rabouhams de la Bibliothèque départementale de la Nièvre et François Garnier de la Bibliothèque départementale du Loir-et-Cher. Comment réduire l’impact écologique du numérique ? Faut-il modifier les pratiques ? Par où commencer : les équipes ou le public ? Pour les deux intervenants, la question du matériel est fondamentale, même s’il est impossible de la détacher totalement de la question des usages. François Garnier structure une mission « multimédia et service innovant » avec des agents et des bibliothécaires du réseau pour ouvrir la réflexion au-delà des connaissances techniques, collecter des informations et participer à la formation au rapport entre numérique et développement durable, toujours dans un esprit de coconstruction. Il encourage à acheter du matériel prévu pour durer et à travailler dans une relation de confiance avec la direction des systèmes d’information (DSI). C’est ainsi que la Bibliothèque départementale du Loir-et-Cher donne une deuxième jeunesse à des PC obsolètes en les passant sous Linux avant de les rediffuser dans le réseau et cherche le moyen de trouver un nouvel usage pour des liseuses ou des tablettes qu’il devient impossible de mettre à jour.
Cette réutilisation du matériel obsolète est également au cœur du travail de la bibliothèque départementale de la Nièvre. Bien que le label BNR lui assure un fort soutien pour acheter du matériel puissant, Jean-Sébastien Rabouhams souhaite plutôt aider les bibliothèques à choisir un matériel homogène, adapté à l’usage et durable. Des ordinateurs obsolètes ont ainsi été équipés de cartes Raspberry qui permettent un accès internet et au catalogue, ainsi que des usages de bureautique ou un accompagnement du public lors d’ateliers. Ces machines sous Linux permettent de partager le SIGB de la Bibliothèque départementale aux bibliothèques volontaires du réseau. Ici aussi, les bonnes relations entretenues avec la DSI ont permis de récupérer des tablettes de collèges ayant peu servi, de mettre en place des switchs pour les bornes relais wifi ou d’acheter des pièces de rechange. Pour répondre partiellement à la question des usages, la Bibliothèque départementale a fait aussi le choix d’ouvrir un portail plutôt que d’envoyer des mails groupés avec des fichiers importants. Jean-Sébastien Rabouhams encourage enfin à se faire aider par des associations de logiciel libre ou les fablabs du territoire et à s’appuyer sur de jeunes bénévoles pour expliquer les recycleries ou les repair cafés. La séance de questions-réponses a permis de lever certaines craintes : le passage à Linux n’a pas déstabilisé les bénévoles des réseaux, les compétences techniques requises ne sont pas insurmontables et les bibliothécaires encouragés à « s’y mettre » sont ensuite fiers de pouvoir communiquer auprès du public
Inégalités territoriales et offres de lecture
Les journées d’études se sont achevées avec une conférence particulièrement éclairante de Samuel Depraz, maître de conférences en géographie à l’université de Lyon 3, et animé par Blaise Mijoule sur « L’équité territoriale dans l’accès à la lecture en contexte de crises ». S’intéressant dans ses travaux à la France des marges, il a détaillé le caractère multidimensionnel des inégalités territoriales qui entraîne une recomposition sélective des mouvements de population au bénéfice du périurbain et de certains bourgs-centres. A partir de ce cadre d’analyse, il a examiné la question de l’offre territoriale de lecture, appelée à être source de redynamisation et d’attractivité des territoires.
Les supports des différentes interventions sont à retrouver sur le site de l’ABD. Un grand merci aux co-présidentes de l’ABD Céline Cadieu-Dumont et Céline Meneghin d’avoir associé les élèves-conservateurs à ces journées enrichissantes !