Les bibliothèques, point de pivot des politiques culturelles

Le  respect des  droits  culturels  des  personnes  et  une compétence  partagée par tous  les échelons  de  l’action  publique : deux repères qui, depuis  20151, encadrent  l’exercice  des  politiques  culturelles.  Celles-ci s’articulent encore  plus  qu’hier  autour  d’enjeux  d’émancipation sociale et de création de référentiels communs. Malgré une crise sanitaire  qui  freine  temporairement  l’accès  aux  lieux  et  l’exercice  d’une convivialité propre au  modèle d’accueil actuel, les bibliothèques demeurent incontestablement un point de pivot de ces politiques culturelles. 

Avec  près  de  16000  lieux  de  lecture  au  total,  les  bibliothèques forment les  équipements culturels les plus présents sur le territoire et de loin les plus fréquentés. Selon une étude du  ministère  de  la  culture publiée  en  20162, 40% des  Français  seraient  ainsi  entrés  au moins  une  fois dans l’une  d’entre elles au  cours  des 12 derniers mois. A  cet égard, le  virage  des  bibliothèques  troisième  lieu  depuis  les  années  2010  et  l’essor  des  enjeux  numériques  ont certes fait évoluer la perception de leur rôle auprès des habitants et des élus. Au-delà de ces  deux  évolutions,  à  la  fois  cruciales  et  relativement  efficaces  en  termes  de  communication  auprès  du  grand  public,  les  bibliothèques  prennent  également  une  part  majeure  dans  la  réalisation de projets structurants de l’action culturelle des collectivités.  

Il  faut  ainsi  rappeler  le  rôle  d’incubateur des  publics qu’elles  jouent  quotidiennement, en   faisant vivre des partenariats de proximité avec les structures de l’action éducative et sociale  publique ou le tissu associatif. Par l’accueil régulier des publics scolaires par exemple, elles  offrent  une  porte  d’entrée équitable – et  souvent intégralement gratuite à  ce  stade – aux  propositions  culturelles  de  la  collectivité  et  fabriquent  un  premier  parcours  de  l’usager,  essentiel au développement de futures pratiques. Sollicitées à juste raison lors de la réforme  des rythmes scolaires pour la richesse de leurs ressources et leurs capacités d’animation, les  bibliothèques  s’affirment  désormais  comme  des  acteurs  incontournables  dans  la  constitution  des  parcours  d’éducation  artistique  et  culturelle pilotés  par  les  collectivités  – exemple  de  la  Communauté  du  Pays  de  l’Aigle  dans  l’Orne,  cité  dans  le  rapport  sur  les  territoires  de  l’action  artistique  et  culturelle  adressé  au  Premier  Ministre  en  2017.  Cette  reconnaissance supplémentaire de leur mission d’accompagnement des publics dans une vie  culturelle en construction passe bien entendu par le livre mais surtout par les liens qu’elles  nouent naturellement avec les artistes du territoire et les partenaires associatifs. 

Au-delà  d’une  mission  auprès  de  la  jeunesse généralement  admise,  les  bibliothèques  entretiennent un  lien  étroit  entre les créateurs  et  la  population  tout  au  long  de  la  vie.  

Occasions  d’entrer  en  dialogue  ponctuel  avec  un  artiste,  moyens  d’expression  d’une  sensibilité  ou  véritable  pont  avec  des pratiques  amateurs,  les  démarches de  résidence  artistique s’ancrent par exemple dans les programmes d’action culturelle des bibliothèques,  et notamment des bibliothèques départementales. Des actions qui dépassent d’ailleurs très  largement  les  questions  d’écriture.  Voir  par  exemple,  le  volontarisme  de  la  bibliothèque  départementale de la Somme qui accueille, selon les projets, des artistes photographes, des  musiciens ou encore des plasticiens. 

On pourrait démultiplier les exemples d’actions culturelles. Pour autant, celles-ci resteraient  de  simples  initiatives  isolées  sans  une  politique  globale  de  lecture  publique.  Si  les  bibliothèques ne constituent pas un enjeu régalien stricto sensu, elles bénéficient cependant  d’un maillage structurel et solide sur le territoire national, faisant d’elles le premier réseau  culturel en nombre d’établissements et de professionnels autant qu’en diversité. Depuis le  début de la décentralisation culturelle et malgré un écho médiatique relativement modeste  en  comparaison  des structures  de  diffusion  du  spectacle  vivant  par  exemple,  les  bibliothèques s’inscrivent comme des outils non négligeables dans la lutte pour la réduction  des  inégalités  territoriales. L’échelon  départemental,  dont  l’utilité  semble avoir  été  redécouverte au moment  d’envisager  sa  disparition, anime ainsi des réseaux de  lecture  si  denses  que  ceux-ci constituent parfois  les  services  publics  d’accueil  les  plus  structurés  du  territoire  et  représentent  en  cela  des  points de  dialogue  importants  entre  les  différents  niveaux  de  collectivité.  Ouvertes  sur  des  modèles  mixtes,  qui  mobilisent  une  part  prépondérante de volontaires auprès des équipes professionnelles, les bibliothèques font de  longue  date  la  preuve  qu’une  participation  partielle  de  la  population  à  l’action  publique  contribue à construire une proximité effective avec une communauté et à inscrire le service  dans la vie de cette dernière.  

Enfin,  en même  temps  qu’immergés  dans  la  société  et  appuyés  par  la  participation  d’une  partie des habitants, les réseaux de lecture et leur structuration ont favorisé depuis 30 ans  une professionnalisation continue dans les bibliothèques. Une évolution qui a fait émerger  une  forme  renouvelée  de  management  culturel. Articulé  autour  de  l’animation  de  coopérations  transversales  et impliquant de  fait une  formation  au  pilotage  des politiques  publiques au-delà  de  la  sphère  du  livre,  ce  rôle  nécessite  de  la  part  des  cadres  de  bibliothèques  l’affirmation  d’une  forme  de  leadership  au  sein  des  politiques  culturelles  locales et une attention toujours plus aigue prêtée au sens des politiques de lecture dans les  autres référentiels de l’action publique.  

Les  bibliothèques  poursuivent  leur objectif  de transformation  sociale  lorsqu’elles  se  revendiquent  comme le  point  d’entrée  d’une  politique  culturelle  non  prescrite  pour  elle même, mais  bien  construite  autour  des passerelles  qu’elle  établit  avec l’ensemble  des  politiques  congruentes.  Elles contribuent alors  à l’action  publique  en  y  apportant  un caractère partenarial, une approche des projets tant sensible qu’analytique et la dimension 

relationnelle  emblématique  de  leur  appartenance  aux  métiers  du  « lien ». Même  contraintes, les bibliothèques restent cet espace public partagé, incarnation à l’intérieur et  hors les murs d’une démocratie culturelle vivante.

1 LOI n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, Article 103 « La responsabilité en matière culturelle est exercée conjointement par les collectivités territoriales et l’Etat dans le respect des droits culturels  énoncés par la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles du 20 octobre 2005. »

2 Publics et usages des bibliothèques municipales, DGMIC, 2016

Article rédigé par Damien Grelier (promotion Toni Morrison), décembre 2020.

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